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CHAPITRE IX.

si passionné, qu’elle ne connoissoit pas de plus grand plaisir que de contribuer à son amusement, de lui procurer même une jouissance plus douce encore, celle d’entendre l’éloge de sa fille sortir de toutes les bouches, satisfaction qu’il goûtoit presque chaque jour de sa vie. La considération du bonheur dont elle combleroit ce père chéri, en consentant au mariage qu’il lui proposoit, étoit à ses yeux d’un grand poids. Pénétrée d’ailleurs d’un sentiment profond de religion, elle se sentoit fortement ébranlée par l’extrême piété d’un tel acte d’obéissance. Enfin, quand elle réfléchissoit sur ce qu’il lui en coûteroit pour s’immoler au devoir et à l’amour filial, ce généreux sacrifice excitoit dans son cœur l’agréable frémissement d’une certaine petite passion qui, sans avoir d’affinité immédiate avec la religion, ou avec la vertu, leur prête souvent à l’une et à l’autre une obligeante assistance, dans l’accomplissement de leurs desseins.

L’idée d’une action si héroïque charmoit Sophie ; et déjà elle se félicitoit de son triomphe, quand le dieu d’amour, qui se tenoit caché dans son manchon, en sortit brusquement, et comme Polichinelle au théâtre des marionnettes, renversa d’un coup de pied le fragile édifice de sa gloire. Dans le fait (car nous ne voulons point tromper le lecteur, ou justifier notre héroïne, en