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CHAPITRE VI.

d’un médiocre intérêt. Nous suivrons le conseil qu’Horace donne aux poëtes, et qui s’adresse aussi bien aux historiens, de laisser dans l’ombre tout ce qu’on désespère de placer dans un beau jour. Ce conseil, s’il étoit suivi, préserveroit le monde littéraire d’un grand fléau, c’est-à-dire du fléau des gros livres.

L’extrême adresse dont Blifil usa, dans cette entrevue, auroit pu engager Sophie à lui ouvrir son cœur ; mais elle fut retenue par la mauvaise opinion qu’elle avoit conçue de ce jeune homme ; car la simplicité, quand elle est sur ses gardes, va souvent de pair avec la ruse. Le maintien de Sophie fut froid, contraint, tel qu’on le prescrit aux jeunes filles, à la première visite d’un futur époux.

Quoique Blifil, en sortant, parût charmé de l’accueil qu’on lui avoit fait, M. Western qui s’étoit tenu, avec sa sœur, à portée de tout entendre, n’éprouvoit pas la même satisfaction. D’après l’avis de sa prudente conseillère, il résolut de hâter la conclusion du mariage. « Courage, mon enfant, dit-il à M. Blifil en termes de chasseur, elle est à toi, cours, pille, bon ! tu la tiens, allali ! allali ! point de quartier, ne crains rien ; je ne te ferai pas languir. Allworthy et moi nous réglerons tout cette après-midi, et à demain la noce.

— Monsieur, lui répondit Blifil, avec une feinte