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TOM JONES.

du moins j’étois sûr… » Il n’acheva pas. Sophie revint à la charge et triompha de sa résistance. Il lâcha contre elle deux ou trois jurons, puis courut aussi vite qu’il le put après sa sœur, pour l’empêcher de partir, s’il en étoit encore temps.

Sophie remonta tristement dans sa chambre, et s’abandonna, si l’on peut s’exprimer ainsi, à toute la volupté d’une tendre douleur. Elle lut et relut plusieurs fois la lettre de Jones, elle eut aussi recours à son cher manchon, et baigna l’un et l’autre de ses larmes. L’officieuse Honora n’épargna rien pour soulager son affliction. Elle lui nomma la plupart des jeunes gentilshommes du comté, loua leur figure et leur esprit, et l’assura qu’elle étoit maîtresse de choisir, parmi eux, qui elle voudroit. On doit croire qu’une aussi habile praticienne qu’Honora, n’auroit point fait usage d’un tel remède, s’il n’eût déjà été employé, avec succès, en pareil cas. Nous avons même ouï dire, que la docte faculté des soubrettes le regarde comme un spécifique souverain, dans les crises d’amour des jeunes filles. La maladie de miss Western qui en présentoit tous les symptômes extérieurs, en différoit-elle, au fond, par quelque endroit ? Nous l’ignorons ; ce qui est certain, c’est que la bonne Honora manqua entièrement son but. Elle fit à sa maîtresse beaucoup plus de mal que de bien, et l’irrita si vivement, que celle-ci,