Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 2.djvu/127

Cette page a été validée par deux contributeurs.
112
TOM JONES.

presque aucun rapport avec sa femme. Lorsqu’il se couchoit, il étoit habituellement ivre au point de ne rien distinguer, et dans la saison de la chasse, il se levoit toujours avant le soleil. Mistress Western disposoit donc de ses actions en toute liberté. Elle avoit à ses ordres un carrosse et quatre chevaux ; mais elle en faisoit peu d’usage ; les chemins étoient si mauvais, qu’elle ne pouvoit sortir de chez elle, sans s’exposer à se rompre le cou, et elle connoissoit trop le prix du temps, pour le perdre à visiter d’ennuyeux voisins.

S’il faut dire la vérité, Mistress Western ne montroit pas à son commode époux, toute la reconnoissance qu’il avoit lieu d’attendre d’elle. Mariée contre son gré par un père tendre, mais que les grands biens de M. Western avoient ébloui (il ne possédoit qu’un capital de huit mille livres, et l’écuyer jouissoit d’un revenu de près de trois mille), le sacrifice forcé de son inclination lui avoit inspiré une mélancolie habituelle. Mistress Western étoit plutôt une bonne ménagère, qu’une compagne agréable. Elle ne pouvoit prendre sur elle de payer, même d’un sourire, les bruyants transports de joie que son mari faisoit éclater quelquefois à sa vue. De loin en loin aussi, elle se mêloit de choses qui ne la regardoient point, comme de lui adresser dans l’occasion de douces