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CHAPITRE III.

Quelle raison avez-vous de refuser M. Blifil ?

— Une très-forte, à mon gré, je le hais.

— N’apprendrez-vous jamais, ma chère, à faire un usage convenable des mots ? Vous devriez consulter le dictionnaire de Bailey. Il est impossible que vous haïssiez un homme qui ne vous a point fait de mal. Le mot haine dont vous venez de vous servir, ne peut donc signifier ici que répugnance ; et ce n’est pas un motif suffisant pour refuser M. Blifil. J’ai connu beaucoup d’époux qui avoient l’un pour l’autre, avant le mariage, une répugnance extrême, et qui n’ont pas laissé de mener après, une vie douce et agréable. Croyez-moi, mon enfant, j’en sais plus long que vous sur cette matière. Vous m’accorderez, j’espère, quelque expérience du monde. Eh bien ! je n’ai pas rencontré une femme, qui n’eût mieux aimé passer pour haïr son mari, que pour en être amoureuse. Fi donc ! l’amour conjugal est un sentiment gothique, ridicule, dont l’idée seule choque l’imagination.

— Quant à moi, madame, je n’épouserai jamais un homme qui m’inspirera de l’aversion. Mais en promettant à mon père de n’écouter, sans son aveu, aucune proposition de mariage, je puis espérer, ce me semble, qu’il ne contraindra point mon inclination.

— Votre inclination ! mademoiselle, votre in-