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CHAPITRE I.

sonne une horreur absolue. Qui sait, en effet, s’il n’est pas destiné à remplir par la suite un meilleur rôle ? car la vie humaine ressemble surtout au théâtre en ce point, que dans le monde, comme sur la scène, le même acteur fait souvent tour à tour, le personnage d’un héros et celui d’un scélérat ; et tel qui excite aujourd’hui notre admiration, sera peut-être demain l’objet de notre mépris. Garrick, le plus grand tragédien qui ait jamais existé, s’abaisse quelquefois jusqu’à jouer des rôles de fous. Ainsi faisoient, au dire d’Horace, l’illustre Scipion et le sage Lælius, et Cicéron rapporte qu’ils étoient incroyablement enfants. À la vérité, comme mon ami Garrick, ils ne se permettoient ces sortes d’écarts que par manière de plaisanterie, tandis que d’éminents personnages ont joué, en maintes circonstances, le rôle de fou, avec tant de naturel et de sérieux, qu’on a peine à décider s’ils étoient réellement plus sages que fous, s’ils méritoient plus de louanges que de blâme, plus d’admiration que de mépris, plus d’amour que de haine.

Ceux qui ont fait une longue étude du cœur humain, et qui possèdent une connoissance approfondie des déguisements usités sur le théâtre du monde, et du caprice des passions auxquelles la direction en est livrée (car la raison ne songe guère à y exercer ses droits), ceux-là, disons-