partir, et promit de revenir dans peu. Il prit congé du capitaine avec une cordialité si bien feinte ; celui-ci joua de même si parfaitement son rôle, que M. Allworthy demeura convaincu de la sincérité de leur réconciliation.
Le docteur se rendit en droiture à Londres, où il mourut bientôt de chagrin, maladie qui tue beaucoup plus de gens qu’on ne pense, et qui enrichiroit bien davantage les registres mortuaires, si l’on appeloit les médecins pour la guérir.
En faisant d’exactes recherches sur la vie des deux frères, avant leur liaison avec M. Allworthy, nous avons trouvé qu’on pouvoit assigner encore à la conduite du capitaine, une autre cause que la maxime diabolique rapportée plus haut. Cet homme joignoit aux défauts dont on a déjà parlé, une grande dureté de cœur, et un orgueil démesuré. En toute occasion, il traitoit son frère, qui étoit doux et modeste, avec une extrême affectation de supériorité. Le docteur avoit cependant beaucoup plus d’instruction, et bien des gens lui trouvoient aussi plus d’esprit. Le capitaine le savoit et s’en indignoit ; car la malignité naturelle de l’envie s’accroît par le mépris pour l’objet qui l’inspire ; et lorsqu’un bienfait vient ajouter une nouvelle force à ces deux sentiments, il est fort à craindre qu’il excite moins la reconnoissance que la haine.