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et réconcilé avec M. Allworthy, il témoigna à son frère une froideur qui augmenta de jour en jour, et dégénéra en une rudesse de manières dont tout le monde fut frappé. Le docteur lui en fit ses plaintes en particulier ; il n’obtint, pour toute satisfaction, que cette réponse : « Monsieur, si quelque chose vous déplaît dans la maison de mon frère, vous êtes le maître d’en sortir. »

Une ingratitude si noire et si étrange blessa le pauvre docteur jusqu’au fond de l’ame ; car l’ingratitude ne perce jamais plus douloureusement le cœur, que lorsqu’elle vient de ceux pour qui l’on a transgressé ses devoirs. Qu’un indigne retour soit le prix d’une grande et louable action, la réflexion en adoucit toujours l’amertume ; mais comment se consoler de l’ingratitude d’un ami, aux intérêts duquel on a eu la foiblesse de sacrifier sa conscience ?

M. Allworthy parla lui-même au capitaine en faveur de son frère, et voulut savoir de quels torts il l’accusoit. Le misérable n’eut pas honte de répondre, qu’il ne pardonneroit jamais au docteur d’avoir cherché à le perdre, par un vil calcul d’intérêt : « J’ai tiré, dit-il, de sa propre bouche, l’aveu de sa perfidie ; et c’est une bassesse qu’il m’est impossible d’oublier. »

M. Allworthy se récria contre une disposition qui lui paroissoit inhumaine. Il témoigna tant