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vais goût, et passé de mode. Quant à sa personne, nous en avons déjà fait plus haut une peinture fidèle. Loin que ses joues fussent vermeilles, on ne pouvoit en distinguer la couleur, à travers la barbe noire qui les couvroit en entier, et lui montoit jusqu’aux yeux. Sa taille et ses membres étoient bien proportionnés, mais épais, disgracieux, et n’annonçant que de la force. Il avoit de larges épaules, des mollets aussi gros que ceux d’un portefaix ; en un mot, tout son grossier individu manquoit de cette beauté, de cette grace qui distinguent nos jeunes seigneurs : espèce de mérite qu’ils doivent à leur précoce introduction dans les brillantes assemblées de la capitale, et au sang illustre de leurs ancêtres, c’est-à-dire à un sang formé de mets exquis et de vins généreux.

Miss Bridget se piquoit d’une grande délicatesse ; mais la conversation du capitaine avoit pour elle un attrait qui la rendoit insensible aux défauts de sa personne. Elle se persuada, peut-être fort sensément, qu’elle seroit plus heureuse avec lui qu’avec un homme beaucoup mieux fait, et elle sacrifia le plaisir des yeux à des jouissances plus solides.

Sitôt que le capitaine s’aperçut de la passion de miss Bridget, et il eut l’œil prompt à la découvrir, il y répondit de tout son cœur. La fi-