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goûta le charme ; et, certaine que son penchant étoit non-seulement innocent, mais louable, elle n’en fut ni alarmée, ni honteuse.

Il existe à tous égards beaucoup de différence entre la passion raisonnable d’une femme sur le retour, pour un homme d’un âge mûr, et le goût frivole d’une jeune fille pour un adolescent : cette dernière s’attache, la plupart du temps, à des qualités purement extérieures, à des agréments de peu de durée, tels qu’une taille svelte, des joues vermeilles, des mains blanches, de grands yeux noirs, une chevelure ondoyante, un menton ombragé d’un léger duvet. Souvent même elle se laisse éblouir par quelque chose de moins estimable encore, et de plus étranger à la personne qu’elle aime. C’est l’élégance de sa parure, c’est l’ouvrage du tailleur, de la lingère, de la brodeuse, du coiffeur, du chapelier, qui la séduit, et non la nature. Faut-il s’étonner, après cela, qu’elle rougisse de s’avouer à elle-même, ou d’avouer aux autres une si folle passion ?

Celle de miss Bridget étoit d’un caractère très-opposé. La parure du capitaine ne devoit rien aux arts de luxe, et sa personne, guère davantage à la nature. L’une et l’autre auroient excité le mépris et la risée de toutes les jolies femmes dans un bal, ou dans un cercle. Son habillement étoit propre, à la vérité, mais commun, de mau-