Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 1.djvu/81

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Quoique sa physionomie fût rude, aussi bien que le son de sa voix, il savoit adoucir à son gré l’une et l’autre, et prendre un air aimable et enjoué. Il ne manquoit ni de politesse ni d’esprit. Dans sa jeunesse il avoit été plein de feu, et il retrouvoit encore au besoin sa première vivacité, malgré le tour sérieux qu’avoit pris depuis peu son caractère.

Destiné malgré lui à l’église, il avoit fait, comme le docteur, ses études à l’université ; mais son père étant mort avant qu’il fût entré dans les ordres, il embrassa le parti des armes, et quitta la robe noire pour l’uniforme.

Il acheta d’abord une lieutenance de dragons ; il devint ensuite capitaine. Une querelle qu’il eut avec son colonel, l’obligea de vendre sa compagnie : depuis lors, il vivoit à la campagne en véritable rustre, s’appliquoit à l’étude des écritures, et passoit pour être assez enclin au méthodisme.

Un tel homme sembloit devoir plaire à une femme distinguée par sa piété, et qui n’avoit encore d’inclination bien prononcée que pour le mariage en général ; mais comment le docteur, qui aimoit fort médiocrement son frère, put-il se résoudre, dans le dessein de le servir, à payer d’un si noir retour l’hospitalité de M. Allworthy ? c’est ce qu’il n’est pas facile d’expliquer.