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teur se voyant si bien traité par miss Bridget, commença à gémir d’un malheur qui lui étoit arrivé, environ dix ans auparavant. Il avoit épousé une femme qui vivoit encore, et ce qu’il y avoit de pis, M. Allworthy n’ignoroit pas son existence. C’étoit un fatal obstacle au bonheur dont il auroit pu se flatter de jouir avec cette vertueuse personne : car l’idée de la séduire ne s’offroit point à son esprit, soit qu’il fût retenu, selon toute vraisemblance, par ses principes de religion, soit que la pureté de sa passion, ennemie d’un coupable commerce, n’aspirât qu’aux plaisirs permis du mariage.

Le docteur n’eut pas besoin de rêver long-temps sur ce sujet, pour se souvenir qu’il avoit un frère, libre des fâcheuses entraves qui l’enchaînoient. Il ne doutoit point que ce frère ne réussît auprès de miss Bridget, chez laquelle il avoit cru remarquer de l’inclination pour le mariage ; et peut-être ne trouvera-t-on pas la confiance du docteur mal fondée, quand on connoîtra les qualités du personnage en question.

C’étoit un officier retiré du service, âgé d’environ trente-cinq ans, de taille moyenne et bien proportionnée. Une blessure, dont il portoit au front la cicatrice, déparoit moins son visage qu’elle n’honoroit sa valeur. Il avoit de belles dents, un sourire gracieux lorsqu’il le vouloit.