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du lecteur, et que Jenny ne reparoîtra pas de long-temps sur la scène, nous croyons devoir le prévenir dès à présent, que M. Allworthy ne méritoit pas le moindre reproche. Il ne commit réellement qu’une petite erreur en politique : ce fut de tempérer la justice par la compassion, et de tromper l’attente de l’honnête populace[1] qui, sensible à sa manière, auroit voulu voir la pauvre Jenny livrée dans Bridewell à l’opprobre et au désespoir, pour avoir ensuite le plaisir de la plaindre.

Loin de seconder cette louable intention, qui eût détruit pour Jenny tout espoir d’amendement, et lui eût fermé le retour à la vertu, si jamais son penchant devoit l’y ramener, il aima mieux employer le seul moyen encore possible, de la faire rentrer dans la bonne voie. Combien de femmes se perdent tous les jours et se précipitent dans le dernier désordre, par l’impossibilité de réparer une première foiblesse ! c’est ce qui ne peut guère manquer d’arriver à celles qui continuent de vivre au milieu des témoins de leur déshonneur. M. Allworthy fit donc sagement d’envoyer Jenny dans un lieu, où elle pût jouir des avantages que donne une bonne répu-

  1. Toutes les fois que ce mot se rencontre dans nos ouvrages, il s’applique à des gens de toutes conditions dénués de vertu, ou de raison, sans exception des personnes du plus haut rang.