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fût le vrai mobile de sa conduite, paroisse assez raisonnable, le succès ne répondit point à ses espérances. Lorsqu’on la conduisit devant le juge de paix, et qu’on crut généralement qu’elle seroit condamnée à faire pénitence dans une maison de correction, quelques jeunes femmes trouvèrent la punition bien méritée, et se firent une joie maligne d’aller voir la prisonnière briser du chanvre en robe de soie ; les autres, au contraire, commencèrent à plaindre son sort ; mais quand on sut de quelle manière M. Allworthy l’avoit traitée, il s’éleva contre elle un murmure universel. « Assurément, s’écria l’un, mademoiselle est née sous une heureuse étoile. » — « Voilà ce que c’est que d’être en faveur, » dit un autre. — « C’est sa science qui est cause de son bonheur, » ajouta un troisième. Chacun fit à ce sujet son commentaire, et se permit des réflexions satiriques sur la partialité du juge.

On pourra s’étonner de tant d’ingratitude et d’audace, si l’on songe à l’autorité dont M. Allworthy étoit revêtu, et à son active bienfaisance ; mais il n’usoit guère de la première, et il avoit trouvé moyen de mécontenter, par la seconde, un grand nombre d’habitants du canton ; car les ames généreuses savent par expérience, qu’un bienfait, loin de procurer toujours un ami, attire souvent beaucoup d’ennemis.