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avantageuse que vous avez conservée de moi. »

Ici ses larmes coulèrent en abondance : elle s’arrêta quelques instants, puis continua ainsi :

« En vérité, monsieur, votre bonté m’accable. Je tâcherai de m’en rendre digne. Si j’ai en effet le jugement qu’il vous plaît de me supposer, vos sages avis ne seront pas perdus pour moi. L’intérêt que vous daignez prendre à mon pauvre enfant me pénètre de gratitude. Il est innocent, il vivra, je l’espère, pour vous témoigner sa reconnoissance ; mais je vous en conjure à genoux, ne me forcez pas à vous révéler le nom de son père : vous le saurez plus tard, je vous le jure. Aujourd’hui un engagement inviolable, un serment solennel, m’obligent de le taire. Je connois, monsieur, votre délicatesse ; vous ne me demanderez pas le sacrifice de mon honneur et de ma religion. »

M. Allworthy qui n’entendoit jamais, sans émotion, proférer ces mots sacrés, garda un moment le silence. « Vous avez eu tort, dit-il à Jenny, de prendre avec un misérable de pareils engagements : mais puisque vous les avez pris, vous devez les remplir. Ce n’est point, au reste, par une vaine curiosité que je voulois connoître votre séducteur, c’étoit pour le punir, ou du moins pour ne pas courir le risque de faire du bien, sans le savoir, à un mauvais sujet. »