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leurs inférieurs le tribut de bassesse qu’ils ne rougissent point de payer à leurs supérieurs ?

Toutes les fois que la patience de mistress Déborah avoit été mise par sa maîtresse à une épreuve extraordinaire, et que la contrainte avoit augmenté l’aigreur naturelle de son caractère, elle s’en alloit décharger sa bile sur les habitants du village : aussi n’aimoient-ils guère ses visites. À dire vrai, Déborah étoit crainte et haïe de tout le monde.

Elle entra d’abord chez une femme du même âge qu’elle, que le ciel avoit pourvue des mêmes agréments, et qu’elle honoroit, pour cette raison, d’une faveur particulière. Elle l’informa de ce qui étoit arrivé, et du motif de sa démarche. Les deux sibylles se mirent aussitôt à scruter la conduite de chacune des jeunes filles du village. À la fin, leurs soupçons s’arrêtèrent sur une certaine Jenny Jones, qui leur parut plus capable qu’aucune autre du fait en question.

Cette Jenny Jones n’étoit rien moins que jolie ; mais la nature avoit compensé en elle le défaut d’attraits, par une qualité généralement plus estimée des femmes, dont les années ont mûri le jugement. Elle l’avoit douée d’un esprit peu commun. Jenny s’étoit plu à perfectionner ce don par l’étude. Elle avoit passé plusieurs années comme servante chez un maître d’école, où elle