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Il sonna, et fit dire à une ancienne gouvernante de se lever sur-le-champ, et de venir le trouver. Cependant il contemploit d’un œil attendri la beauté de l’innocence, empreinte des vives couleurs que lui prêtent l’enfance et le sommeil. Absorbé dans ses pensées, il ne s’aperçut pas qu’il étoit en chemise quand la gouvernante entra. Elle lui avoit pourtant laissé tout le temps de se rhabiller : car, autant par respect pour son maître que par amour de la décence, elle avoit passé plusieurs minutes à arranger ses cheveux devant son miroir, quoiqu’on fût venu la chercher en toute hâte, et qu’elle ignorât si M. Allworthy n’étoit pas tombé en foiblesse, ou frappé d’apoplexie.

On conçoit qu’une personne aussi esclave de la décence pour elle-même, devoit se choquer aisément du moindre oubli de cette vertu chez les autres. À peine eut-elle ouvert la porte, qu’à la vue de son maître debout, en chemise, une lumière à la main, elle recula saisie d’épouvante, et elle alloit s’évanouir, si l’écuyer, se rappelant qu’il étoit déshabillé, n’eût calmé sa frayeur en la priant d’attendre pour entrer, qu’il eût passé quelques vêtements, et fût en état de paroître sans blesser les chastes regards de mistress Déborah Wilkins qui, bien qu’âgée de cinquante-deux ans, juroit qu’elle n’avoit jamais vu un homme