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formoient une harmonie enchanteresse. Il songeoit à sa Sophie dans ce lieu si propre à l’amour. Son imagination, dont rien ne gênoit l’essor, parcouroit en liberté tous ses charmes, se la représentoit sous les formes les plus variées, les plus ravissantes, son cœur brûlant ne respiroit que la volupté. Il se jeta sur le gazon qui tapissoit le bord du ruisseau, et d’une voix attendrie : « Ô Sophie ! s’écria-t-il, si le ciel me permettoit de te serrer dans mes bras, quel seroit mon bonheur ! Faut-il, hélas ! que la fortune ait mis entre nous tant de distance ? Ah ! si je te possédois, quand tu n’aurois pour tout bien que les trésors que t’a prodigués la nature, est-il sur la terre un mortel à qui je portasse envie ? De quel œil de dédain je verrois la plus belle Circassienne, parée des plus riches ornements de l’Inde ! que dis-je ! si je croyois que mes yeux pussent regarder avec tendresse une autre femme, je les arracherois à l’instant de ma propre main. Oui, ma Sophie, la fortune inhumaine peut nous séparer pour toujours ; mais tant que je vivrai, je n’aimerai que toi. Je voue à ton image une constance éternelle. Dussé-je renoncer à l’espoir de te posséder jamais, tu n’en seras pas moins la maîtresse absolue de mes pensées, de mon affection, de mon cœur. Ce cœur fidèle ne brûlera que pour toi. Vénus elle-même tenteroit en vain de l’enflam-