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si cruel événement. Mais comme la passion ne l’aveugloit pas au point de lui cacher l’impression dangereuse, que feroit sur M. Allworthy l’éclat d’une querelle, il se contint pour l’instant, et il fut ensuite si content de voir que cette indiscrétion n’avoit pas eu de suites fâcheuses, qu’il étouffa sa colère, et ne fit aucun reproche à Blifil.

Le médecin dînoit ce jour-là chez M. Allworthy. Au sortir de table, il l’alla voir, et revint bientôt après annoncer à la compagnie, avec un air d’assurance et de satisfaction, qu’on pouvoit désormais être tranquille sur le compte de son malade ; que la fièvre l’avoit quitté, et qu’il se faisoit fort d’en prévenir le retour, par le moyen du quinquina.

Cette nouvelle causa tant de plaisir à Jones, elle le jeta dans un tel ravissement, qu’on pouvoit dire de lui, avec vérité, qu’il étoit ivre de joie : disposition morale qui seconde puissamment les effets du vin ; et comme il but de nombreuses rasades à la santé du docteur et de plusieurs autres, il fut bientôt ivre à la lettre.

Le feu du vin redoublant la chaleur naturelle de ses esprits, il fit mille extravagances : il sauta au cou du docteur, le serra dans ses bras, l’assura qu’après M. Allworthy, il étoit la personne qu’il aimoit le mieux au monde. « Oui, docteur, s’écria-t-il, vous méritez qu’on vous élève une