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dépendoit la félicité, ou le malheur de sa vie entière. Il repoussoit avec horreur la pensée de plonger dans un abîme de maux, une créature qui lui avoit sacrifié le peu qu’elle avoit en son pouvoir, qui s’étoit immolée à ses plaisirs, qui maintenant encore soupiroit et languissoit, éloignée de sa vue. « Eh quoi ! se disoit-il, mon rétablissement qu’elle a tant souhaité, ma présence, qui fait l’objet de tous ses vœux, au lieu de lui procurer le bonheur dont elle se flattoit, seroient pour elle le signal de la ruine et du désespoir ? Pourrois-je pousser si loin la barbarie ? » Mais au moment où le bon génie de Molly sembloit prêt à triompher, l’image de Sophie, de Sophie sensible à son amour (il n’en pouvoit plus douter), revint s’offrir à sa pensée ; et tous les obstacles qui lui fermoient l’entrée de son cœur disparurent.

À la fin, il s’imagina qu’il pourroit dédommager Molly d’une autre façon ; par exemple, au moyen d’une somme d’argent. La difficulté étoit de la lui faire accepter. Il en désespéroit presque, quand il se rappeloit combien de fois, dans l’ivresse de la passion, elle lui avoit assuré que l’univers entier ne sauroit la consoler de sa perte. Mais elle étoit pauvre, et comme on l’a vu, d’une excessive vanité. Jones pensa, que malgré l’ardeur apparente de son amour, il seroit possible de l’amener,