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mais ces désirs même étoient encore combattus par la pitié pour une autre femme. L’image de Molly revenoit s’offrir à son imagination. Il avoit juré mille fois, entre ses bras, de lui garder une fidélité éternelle. Molly, de son côté, lui avoit fait autant de serments de ne pas survivre à son inconstance. Il se la représentoit, tantôt accablée sous le poids d’une douleur mortelle, tantôt prête à tomber dans le dernier avilissement, malheur qu’il auroit doublement à se reprocher, pour l’avoir séduite, puis abandonnée ; car il savoit la haine que lui portoient ses voisines et ses propres sœurs, et avec quel empressement elles saisiroient l’occasion de la déchirer. Dans le fait, il avoit attiré sur elle plus d’envie encore que de honte, ou plutôt celle-ci n’étoit que la conséquence de l’autre. Beaucoup de femmes la traitoient avec mépris, qui lui envioient en secret le cœur et les dons de son amant, et auroient été charmées de les acquérir au même prix. Il regardoit donc la perte de la pauvre fille, comme la suite inévitable de son manque de foi, et cette pensée le mettoit au désespoir. Il se disoit que l’indulgence de Molly ne lui donnoit nul droit d’aggraver sa position, déjà trop malheureuse ; que l’obscurité de sa naissance ne rendoit pas sa personne moins sacrée, et ne pouvoit servir d’excuse à l’auteur de sa ruine. Mais à quoi bon par-