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Il n’ignoroit pas que la fortune est la première, sinon l’unique considération qui détermine, en pareil cas, le choix des meilleurs parents ; que si l’amitié nous fait épouser avec chaleur les intérêts de ceux qui nous sont chers, elle met peu de zèle à favoriser leurs passions ; qu’enfin, pour comprendre le bonheur que procure l’amour, il faudroit en sentir soi-même l’ardeur. Jones n’avoit donc aucun espoir fondé d’obtenir le consentement de M. Western : et chercher à s’emparer, sans son aveu, du cœur de sa fille, le frustrer ainsi du brillant avenir, objet de ses vœux, c’étoit, selon lui, abuser lâchement de l’hospitalité, et payer d’une noire ingratitude les nombreuses marques de bienveillance que l’honnête et bizarre écuyer lui donnoit, à sa manière. S’il n’envisageoit une telle conduite qu’avec horreur et mépris, combien n’étoit-il pas retenu davantage par la crainte d’offenser M. Allworthy, à qui il devoit plus qu’un fils ne doit souvent à son père, et qu’il honoroit aussi d’une piété plus que filiale. Il savoit que ce digne homme abhorroit jusqu’à l’apparence de la bassesse et de la perfidie, et que la moindre souillure de ce genre suffisoit pour rendre la personne du coupable odieuse à ses yeux, et son nom insupportable à ses oreilles. Tant d’obstacles invincibles auroient triomphé de ses désirs, quelle qu’en eût été la violence ;