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d’un ouvrage dépend de l’assaisonnement que sait y mettre l’auteur ; car, comme le dit M. Pope[1] :

Le véritable esprit est la nature ornée ;
C’est d’un tour délicat la grace inopinée,
Ce qu’on pensa souvent, sans l’exprimer si bien.

Tel animal dont certaine partie a l’honneur d’être mangée par un prince, est dégradé dans une autre de ses parties pendue au plus vil étal. Le dîner du grand seigneur et celui de l’humble plébéien se composant du même bœuf et du même veau, leur nourriture ne diffère donc que par l’apprêt et l’assaisonnement. De là vient que l’une réveille et aiguise l’appétit le plus languissant, tandis que l’autre émousse et rebute le plus vif.

Ainsi l’excellence de la nourriture intellectuelle consiste moins dans la matière traitée par l’auteur, que dans son habileté à la manier et à l’embellir. Avec quelle satisfaction n’apprendra-t-on pas que nous avons suivi de point en point dans notre ouvrage, la méthode du meilleur cuisinier qu’ait vu naître le siècle actuel, et peut-être celui d’Héliogabale ! Ce grand homme, nul amateur ne l’ignore, commence par servir aux convives affamés les mets les plus simples, et s’élève ensuite par degrés à mesure que leur appétit décroît, jusqu’à la quintessence des ragoûts et des épices.

  1. True wit is nature to advantage drest
    What oft’ was thought, but ne’ver so well exprest.