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trui, à moins qu’ils n’y voient, pour eux, un plaisir ou un avantage. Il existe aussi des hommes d’un caractère opposé, qui puisent dans l’amour-propre un nouveau degré de vertu. Leur rend-on quelque service ? on est payé de retour. Le bonheur de la personne qui les oblige, devient en quelque sorte nécessaire à leur félicité.

Tel étoit M. Jones. Il se regardoit désormais comme l’unique arbitre de la destinée de Molly. Peut-être lui eût-il préféré une maîtresse nouvelle et plus séduisante ; mais il l’aimoit toujours, et ce que la possession avoit ôté d’ardeur à sa flamme, étoit bien compensé par l’idée de l’attachement qu’elle avoit pour lui, et par la considération de l’état critique où il l’avoit mise. Ainsi, la reconnoissance d’une part, la pitié de l’autre, jointes à un reste de goût assez vif, composoient dans son cœur un sentiment assez digne du nom d’amour, quoiqu’on puisse douter si, dans l’origine, c’eût été le mot propre.

De là venoit son apparente insensibilité aux charmes de Sophie, et à des marques de bienveillance qu’il auroit pu interpréter, sans présomption, comme une sorte d’encouragement. Trop généreux pour laisser Molly dans la misère et sans appui, il étoit incapable de tromper, par une feinte tendresse, une personne telle que Sophie. Et il faut convenir que l’un ou l’autre