Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 1.djvu/250

Cette page a été validée par deux contributeurs.

fille comme amant, ou comme voleur. Tom n’étoit point insensible aux attraits de Sophie, il savoit apprécier ses aimables qualités ; mais l’amour n’avoit nulle part à l’estime qu’il faisoit d’elle. Le moment est venu d’expliquer une bizarrerie pour laquelle on pourroit le taxer de stupidité, ou tout au moins d’un manque absolu de goût.

La vérité est qu’une autre femme possédoit son cœur. On s’étonnera, sans doute, du long silence que nous avons gardé sur ce sujet, et l’on aura peine à deviner quel étoit l’objet de son affection, puisqu’il ne nous est rien échappé jusqu’ici, d’où l’on ait pu conclure que Sophie avoit une rivale. Si notre devoir d’historien nous a forcé de dire un mot de la tendresse de mistress Blifil pour Tom, jamais nous n’avons laissé entendre qu’il en ressentît aucune pour elle : et, en effet, on ne peut nier que les jeunes gens des deux sexes ne soient trop enclins à payer d’ingratitude les bontés dont les personnes d’un certain âge daignent quelquefois les honorer.

Pour ne pas prolonger l’incertitude du lecteur, nous le prions de se souvenir du garde-chasse Georges Seagrim, communément appelé Black Georges. Sa famille se composoit d’une femme et de cinq enfants. Le second de ces enfants étoit une fille nommée Molly, qui passoit pour la plus belle du canton.