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La pauvre Sophie étoit charmée aussi, mais d’une façon bien différente. Ceux de nos lecteurs à qui la nature n’a pas refusé un cœur, se représenteront mieux l’état du sien, que nous ne pourrions le faire, eussions-nous toute l’éloquence d’un poëte ou d’un amant.

C’étoit l’usage de M. Western, chaque après-midi, quand il étoit à moitié ivre, de demander à sa fille de lui jouer un air sur son clavecin. Il aimoit fort la musique, et auroit pu passer à Londres pour un connoisseur ; car il trouvoit toujours quelque chose à critiquer dans les plus belles compositions de Handel. Il n’estimoit que la cadence vive et légère de nos anciennes ballades, telles que le vieux sir Simon le Roi, Saint-Georges, patron de l’Angleterre, Bobbing Jean et d’autres semblables.

Sophie, quoique excellente musicienne et admiratrice passionnée de Handel, aimoit tant son père, qu’elle avoit appris par cœur, pour lui plaire, toutes ces vieilles chansons. Elle essayoit néanmoins, de temps en temps, de le ramener au goût moderne ; et lorsqu’il la prioit de répéter ses ballades, elle répondoit souvent par un doux refus, ou en lui demandant la permission d’exécuter quelque morceau de musique nouvelle.

Ce soir-là, lorsque M. Western eut fini de boire, Sophie joua d’elle-même, trois fois de suite, tous