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eut son estime, et Blifil, son mépris, aussitôt qu’elle put comprendre le sens de ces deux mots. Élevée par sa tante, et depuis plus de trois ans absente de la maison paternelle, elle n’avoit vu nos deux jeunes gens que de loin en loin, durant cet intervalle. Une seule fois, elle avoit dîné avec sa tante chez M. Allworthy. C’étoit peu de jours après l’aventure de la perdrix. Sophie en entendit conter à table tous les détails, sans ouvrir la bouche, et sa tante, pendant le retour, ne put obtenir d’elle que quelques paroles ; mais sa femme de chambre s’étant avisée de lui dire, le soir en la déshabillant : « Eh bien ! mademoiselle, vous avez vu aujourd’hui, je pense, le jeune monsieur Blifil ? — Monsieur Blifil ? répondit-elle en colère ; je hais ce nom comme la bassesse et la perfidie même, et je m’étonne que M. Allworthy ait pu souffrir qu’un pédant barbare maltraitât de la sorte un pauvre enfant, pour une action qui ne prouvoit que son bon naturel. » Elle conta ensuite l’histoire à sa femme de chambre, et lui dit en finissant : « Ne trouvez-vous pas que cet enfant a l’ame noble ? »

Sophie, revenue chez son père, gouvernoit la maison, et faisoit les honneurs de sa table, où dînoit souvent Tom Jones, que sa passion pour la chasse avoit rendu le favori de l’écuyer. Les jeunes gens d’un caractère franc et généreux sont portés à la galanterie. S’ils ont de l’esprit, comme