Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 1.djvu/202

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pourtant à témoigner du regret de son emportement, et après une salutaire remontrance, il lui permit de s’expliquer, ce qu’il fit de la sorte.

« En vérité, monsieur, il n’y a personne au monde que j’honore autant que vous ; je sais tout ce que je vous dois, et j’aurois horreur de moi-même, si je me sentois capable d’ingratitude. Oh ! que mon petit cheval ne peut-il parler ! il vous diroit combien il m’étoit cher. Je prenois à le nourrir de ma main, plus de plaisir encore qu’à le monter. Ah ! monsieur, le cœur m’a saigné quand il a fallu m’en séparer. Jamais je n’aurois pu me résoudre à le vendre, pour tout autre motif. Vous-même, monsieur, j’en suis sûr, vous auriez fait comme moi, à ma place. Vous êtes si sensible au malheur d’autrui ! Que seroit-ce, si vous aviez à vous reprocher d’en être cause ? En vérité, monsieur, il n’y eut jamais de misère comparable à la leur.

— De qui parlez-vous, mon enfant ? que voulez-vous dire ?

— Oh monsieur ! depuis sa disgrace, votre pauvre garde et sa nombreuse famille sont exposés chaque jour à mourir de faim et de froid. Je n’ai pu supporter la vue de ces malheureux nus et sans pain, et surtout l’idée d’être l’auteur de leurs souffrances ; non, monsieur, je ne l’ai pu ! (Ici il versa un torrent de pleurs.) C’est, continua-t-il,