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loin de tous les regards, fournit à ceux qui sont capables de la moindre retenue, une ample liberté de satisfaire l’une ou l’autre de ces passions, et leur permet de paroître un certain temps dans le monde, sans se donner des marques de tendresse, s’ils s’aiment, sans s’arracher les yeux, s’ils se détestent.

Peut-être, cependant, l’écuyer étoit-il assez instruit de la conduite des deux époux, pour éprouver un secret sentiment de peine. Il ne faut pas toujours conclure qu’un homme sage n’a point le cœur blessé, parce qu’il s’abstient de pleurer et de gémir, comme une femme ou un enfant. On peut supposer encore que si M. Allworthy découvroit quelques défauts dans le capitaine, il en étoit foiblement choqué. Le propre de la vraie sagesse et de la vraie bonté, est de prendre les personnes et les choses telles qu’elles sont, sans rêver une perfection chimérique. On aperçoit des défauts dans un parent, dans un ami, on ne se croit obligé d’en avertir ni lui, ni les autres, on ne l’en aime pas moins pour cela. Si l’indulgence ne tempère la sévérité d’un esprit pénétrant, ce seroit folie de vouloir contracter des liaisons d’amitié. N’en déplaise à nos amis, nous n’en connoissons point qui n’aient leurs imperfections, et nous serions fâché de penser qu’ils ne vissent pas les nôtres. Rien de