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Jamais couple ne savoura mieux le charme de la contradiction que M. et Mme Blifil. L’un ouvroit-il un avis ? l’autre embrassoit aussitôt l’avis contraire. Si le mari proposoit une partie de plaisir, la femme s’y refusoit à l’instant. Il ne leur arrivoit en aucune occasion d’aimer ou de haïr, de louer ou de blâmer la même personne. Le capitaine voyoit de mauvais œil l’enfant trouvé, ce fut pour mistress Blifil une raison de le caresser presque autant que son propre fils.

On juge combien une pareille mésintelligence entre le mari et la femme devoit affliger M. Allworthy, qui avoit cru assurer, par cette union, leur bonheur et le sien. Néanmoins, quoique trompé dans ses espérances, il étoit loin de connoître toute la vérité. Le capitaine, pour des raisons faciles à comprendre, se tenoit soigneusement sur ses gardes devant lui ; de son côté, mistress Blifil, de crainte de lui déplaire, observoit en sa présence la même réserve. Dans le fait, il est possible qu’un tiers entretienne d’étroites relations avec des époux un peu discrets, qu’il habite même long-temps sous le même toit, et ne soupçonne en aucune façon leur mutuelle antipathie. Bien que le jour entier soit quelquefois trop court pour la haine, ainsi que pour l’amour, le grand nombre d’heures que les gens mariés ont coutume de passer ensemble