l’indigence d’autrui. Mais ne secourir ses frères que de son superflu, être charitable, disons le mot, moins aux dépens de sa personne que de sa bourse, sauver une famille de la misère, plutôt que de décorer son appartement d’un tableau rare, ou de satisfaire toute autre vanité aussi frivole ; c’est se montrer uniquement homme ; je vais plus loin, c’est presque agir en épicurien. Est-il en effet une jouissance plus désirable pour un vrai épicurien, que celle de manger en même temps (s’il est permis de s’exprimer ainsi) par plusieurs bouches : ce qu’on peut dire de celui à qui beaucoup d’indigents doivent le pain dont ils se nourrissent ?
« Quant à la crainte, fondée sur une triste expérience, d’obliger des gens qui peuvent devenir par la suite indignes de nos bontés, elle ne doit point détourner de la bienfaisance l’homme sensible. Des traits plus ou moins multipliés d’ingratitude, ne sauroient justifier une cruelle indifférence au malheur de nos semblables, et jamais ils n’endurciront une ame vraiment généreuse. Pour fermer à la charité le cœur d’un homme compatissant, il ne lui faudroit rien moins que la conviction d’une perversité universelle, et cette conviction le conduiroit nécessairement à l’athéisme ou au désespoir. Mais un petit nombre d’individus vicieux n’autorise