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prudence rocaleux

me laisser moisir dans un trou de campagne.

— Je croyais que vous aimiez les champs à la folie ; vous me parliez de lapins, de poules, de pigeons…

— Oui, oui, j’ai peut-être dit tout ça ; mais ce n’était pas du sérieux. Quelle conversation peut-on avoir avec un lapin ? Y n’y a qu’à leur parler herbe, et, en dehors de cette nourriture, ils se fichent de vous. Quant aux poules, c’est un peu plus parlant, mais cela ne va jamais bien loin. J’ai trop d’idées pour me plaire en leur seule compagnie aussi… Je reste au service de Madame qui peut me croire quand je lui dirai que, dans le quartier, on a déjà voulu m’arracher de ma place d’ici, mais j’ai refusé. Dame, on me sait honnête, c’est assez rare. Mais pour la réputation de la magistrature, je repousse tous les sous du franc, toutes les combines, tous les trucs à refaire les patrons. Je dois avouer, pour être juste, que je ne suis pas la seule… Mamzelle Julie est pareille, avec bien des autres ! Mais maintenant, j’ai pris assez de repos. J’ vas me mettre à éplucher mes épinards. Y seront à la crème, et avec ça un quasi de veau avec le rognon. Faut soigner ceux qui sont gentils pour vous, s’ pas, Madame ?

Sur cette flatterie quelque peu utilitaire, Prudence disparut.

Dans sa cuisine, elle pensa : « Ouf ! v’là que Madame voulait me renvoyer ; a-t-on jamais vu ! Je ne m’ennuie pas ici, et les rues ressemblent presque à celles de Paris… Et pis, le parc est beau. Y a de tout l’eau les bêtes et les fleurs. Et ce monument aux morts, si grandiose ! Ah ! les pauvres gars ! et puis cela continue c’te guerre de malheur ! Pourquoi faut-il que les hommes se battent ? Il est vrai que quand on jette des miettes