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prudence rocaleux

parler, j’aurais peur qu’il ne vous veuille plus ici.

— Y serait bien méchant alors ! Y voudrait m’empêcher de gagner ma vie ? Pour un homme de justice, y serait guère juste.

Agacée, Mme Dilaret répliqua sèchement :

— Arrangez-vous pour que nous n’ayons pas d’histoires. Maintenant, allez à vos fourneaux. Ne sucrez pas le potage et veillez à ce que l’entremets ne soit pas salé.

— Oh ! là ! là ! répartit Prudence, voici Madame qui fait sa petite colère, parce qu’elle est un peu jalouse de mon savoir-faire… Je ne suis pas susceptible, que voulez-vous ! Tout le monde ne peut pas être fin… Moi, je suis née fine… J’ai le doigté. Que Madame ne se fasse pas de mauvais sang, tout ira fort bien. J’ vas faire une bonne soupe à l’oignon, ça calme les estomacs qui sont à l’envers… Les colères, Madame ne le sait peut-être pas, ce sont des pelotes d’épingles qui passent à travers vos intestins. Alors, il faut quelque chose de doux pour cicatriser toutes ces piqûres, et le bon Dieu a créé les oignons exprès. Dame, Adam a eu sa petite colère quand il a vu le paradis perdu. J’ vas vous soigner ça.

Cette fois, Prudence réintégra sa cuisine. Elle n’eut plus le loisir d’ennuyer sa patronne, car on sonna à la porte de service.

— Bonjour, Madame, je viens vous rapporter le mouchoir que vous avez perdu chez Monsieur.

— Oh ! merci, Madame.

C’était la domestique de M. Rembrecomme.

Prudence jouait l’étonnement, alors que cet oubli de mouchoir n’était qu’une ruse. Elle voulait garder une entrée dans cette maison, et elle n’avait trouvé d’autre moyen que de laisser tomber son mouchoir.