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prudence rocaleux

je n’aurais jamais pensé que Madame était si mal complaisante. Ce n’est pas parce que je ne suis qu’une pauvre cuisinière, qu’il faut m’envoyer promener ! J’ai dit ces paroles à la petite, sans même m’en apercevoir. J’étais énervée ! Je ne dormirai pas de la nuit, et demain je ne ferai pas de travail !

— Prudence, maintenant en voilà beaucoup sur ce sujet. Soyez plus calme, et occupez-vous du déjeuner…

— Et plus jamais je ne parlerai… et à personne ! C’est fini !

— Ce sera très bien !…

Mme Dilaret sortit de l’office où cette scène avait eu lieu, et Prudence continua à marmonner dans sa cuisine. Elle paraissait tout à fait furieuse, et elle prenait à témoins le ciel et la terre, que jamais elle n’avait voulu nuire à la fille d’un monsieur haut placé.

Soudain, une pensée illumina son entendement :

— M’sieu Jacques était gentil, aimable et pis tout ! C’est lui qui me sauvera… Il saura arranger cette affaire avec son père, et qui sait ? la jeune fille lui plaira peut-être ?… Il y a des hommes qui aiment les femmes fardées… Ils feront un beau petit ménage.

Prudence débordait d’imagination. C’était là son péché mignon. Elle combinait une idylle et elle s’apaisait. L’essentiel était de voir Jacques seul et au plus tôt, avant que le père « de la jeune fille mît la police en branle. Prudence savait que celle-ci agissait assez lentement et qu’elle aurait le temps.

Au déjeuner de ce jour-là, elle ne ménagea pas les attentions à l’adresse de « M’sieu Jacques ». Elle le regarda souvent avec des signes amicaux, auxquels il ne comprenait rien. Elle le guetta quand il fut sur le point de repartir, et le pria de venir à la cuisine.