Page:Fiel - Prudence Rocaleux, 1945.pdf/26

Cette page a été validée par deux contributeurs.
28
prudence rocaleux

que j’ai soumis hier à Madame, je le maintiens ?

— Il me semble que ce sera bien. Il faut profiter des jours de viande.

— Oh ! quelle invention du diable que ces manigances de viande ou pas de viande ! et ces tickets, je n’y comprends rien de rien… « Vous n’avez pas besoin de comprendre », m’a dit un fournisseur. C’est pas commode quand même, parce que j’ai toujours peur qu’on me vole… Les gens sont si malins !

— Eh bien ! Prudence, allez à vos courses.

— J’y cours.

Mme Dilaret commençait à s’apercevoir qu’il fallait brusquer les conversations de Prudence, sans quoi elle risquerait de n’avoir plus une minute à soi. La veille, elle avait amusé son mari et son fils avec le récit des trouvailles pittoresques de sa servante, et quand Jacques avait appris qu’il serait gâté et choyé par elle, sa joie avait éclaté en un rire si frais et si jeune, que Mme Dilaret ne regrettait pas la venue de cette femme.

Elle n’oubliait pas non plus la manière originale dont elle usait pour connaître le caractère d’une fiancée, et cet épisode avait porté au comble la gaieté du jeune homme.

Il dit, très convaincu :

— Ce n’est nullement sot. Je suis de l’avis de Prudence. C’est quand un visage ne se sent pas observé, qu’il s’abandonne à son expression réelle. Votre nouvelle domestique est une bien amusante personne, et elle a une psychologie instinctive qui ne manque pas de piquant.

Aussi, quand Prudence servit le déjeuner, déploya-t-il toutes ses grâces. Quand on se sait apprécié, l’amour-propre vous pousse à vouloir l’être davantage.

Prudence ne vit dans ces attentions qu’une