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à-soi ; mais de la façon dont elle réfléchissait, je voyais qu’elle était tourmentée, et c’est moi qui ai eu raison ! Un jour, Madame m’a fait entendre un autre son de cloche : la demoiselle avait renvoyé son fiancé, parce qu’elle se figurait que sa tante lui donnerait tout de suite sa fortune, en ne conservant qu’une petite rente. Hein ! mes voyances triomphaient !…

Et Prudence arrêta enfin ce déluge de paroles. Mme Dilaret l’écoutait avec un grand intérêt, et elle ne put s’empêcher d’approuver.

— Votre idée est originale, je la pratiquerai certainement quand il s’agira de mon fils ; mais j’ai peur de ne pas m’y connaître aussi bien que vous ; je ne suis pas physionomiste.

— J’aiderai Madame…

— Nous y penserons…

— Maintenant, reprit Prudence, je vais m’attifer pour sortir avec Madame. Oh ! je serai convenable ! Je ne porte que du noir, depuis la mort de mon défunt… Pourtant, je n’aime pas le noir, et lui ne l’aimait pas non plus ; mais tant pis ! Il me plaint de là-haut et ça me fait plaisir. Je lui parle, je lui raconte mes petites affaires, cela me soulage. Si je disais à Madame que nous nous entendons mieux depuis qu’il est là-haut… C’est vrai comme je vous vois.

Mme Dilaret crut qu’elle ne pourrait jamais s’arrêter de rire. Depuis qu’elle était au monde, elle n’avait jamais vu un semblable personnage, et elle pensait qu’elle pourrait passer beaucoup de choses à Prudence, si toutefois elle ne dépassait pas certaines bornes.

Tout en mettant son chapeau, elle souriait encore au souvenir des paroles de Prudence.