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PRUDENCE ROCALEUX

nous noierons le vin dans ta cave, nous démolirons même tes maisons, si ça nous chante ! et nous ne demanderons jamais ton avis ! »

— Ces deux fleuves, s’écria Mlle Parate, c’est ce qu’il y a de plus beau !… Vous n’avez donc jamais regardé le Rhône avec ses couleurs ?

— Non… ça me fait un peu peur…

— Que c’est drôle !

— Non, la peur, c’est pas drôle, et on a tellement l’occasion d’avoir peur dans c’te guerre de catastrophes, qu’on regrette d’être dans le monde…

— Vous n’êtes donc pas résignée ?

Prudence tressaillit à ce mot. Elle regarda sa compagne comme si soudain elle lui voyait des ailes, puis elle murmura :

— Qu’est-ce que vous voulez dire par là ? Pour être résignée, il faut être une sainte.

Mlle Parate rit doucement, et ce fut pour Prudence comme si elle entendait le son d’une cloche fêlée.

— Mais non, il ne faut pas être une sainte, mais une femme qui ne se tourmente pas, quand il lui arrive une anicroche et qui ne s’encolère pas devant les difficultés… Ça ne s’apprend pas tout de suite, mais on en prend peu à peu l’habitude… J’ai suivi un modèle et je vous en parlerai…

— Je voudrais bien voir ce modèle… Si c’est une femme, elle doit être de bonne compagnie…

— Très bonne compagnie…

Mlle Parate souriait un peu.

Quand elles eurent fini d’admirer le panorama, la compagne de Prudence l’emmena devant la maison du Cénacle et lui dit :

— Je ne quitte jamais Fourvière sans entrer dans cette chapelle où s’est agenouillée,