Page:Fiel - Prudence Rocaleux, 1945.pdf/117

Cette page a été validée par deux contributeurs.
119
prudence rocaleux

— Enlevez ce pot et taisez-vous ! Je ne plaisante pas.

La pauvre Prudence dut se conformer à cet ordre, parce que l’œil de M. Dilaret la foudroyait.

Elle en eut un frisson et se replia, désolée, dans son domaine, en contemplant cette belle gelée qui ne lui procurait même pas un compliment.

— Ce que les hommes peuvent être ingrats ! Je me suis tuée à faire de la confiture à pleins pots et je n’ai même pas un merci de ce juge qui parle toujours de justice… J’ai transpiré dans cette confiture à me dessécher la peau, à devenir une feuille de parchemin, et v’là toute la reconnaissance que j’en ai ! Et j’suis vaillante et économe ! et dévouée ! et pis tout, quoi ! eh ben ! rien, pas un mot… Il aurait pu me dire : « Ma bonne Prudence, votre confiture est un baume, on croirait manger de l’ange en marmelade. » Non, rien… Au lieu de ça, un œil de tigre… Ah ! si j’ voulais faire galoper le mien d’œil, autour de cet homme si haut, je le mettrais bien bas, à mes genoux, oui, à mes genoux, si je voulais !… Mais Madame est une bonne femme ! je ne veux pas lui apporter de la peine, non plus qu’à M’sieu Jacques. Ce petit, j’ veux lui conserver son père intact, qu’il n’ait pas à rougir de lui… Je n’ vas même pas me venger pour de la confiture… J’ vois bien que Monsieur a des ennuis parce que cet assassin ne se trouve pas, mais ce n’est pas juste que ça retombe sur mon travail… Enfin, c’est la vie du monde… faut pas s’ faire tourner le sang en encre pour si peu… J’ cuisinerai un bon dîner, et les estomacs seront plus gais… Je chercherai un peu de sucre chez un épicier à qui j’ai rendu service… Je lui donnerai une paire de chaussures de Madame pour une de ses nièces qui a la