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prudence rocaleux

disais : « Vous vous trompez. » Ce serait bien mal poli de ma part…

Prudence se rengorgea, heureuse de connaître un beau mot, fière de passer pour instruite, glorieuse de savoir parler avec à-propos.

Elle se persuadait que Mme Dilaret la cotait haut et qu’elle se félicitait chaque jour de l’avoir à son service. « Une femme comme moi, ça rehausse une maison. »

Tous les soucis de Prudence furent oubliés au moment des confitures, art où elle triomphait. Mme Dilaret dut se rendre à l’évidence. Les gelées, les marmelades de toutes couleurs se rangeaient sur des rayons, et plus Prudence en cuisait, plus elle voulait en cuire. Elle établissait une véritable collection… elle en admirait la transparence, ou bien la consistance selon les fruits.

Cela devenait presque une passion, et Mme Dilaret crut un jour que tout ce qui était mangeable se transformerait en confiture ! La tomate, le potiron, le melon, la carotte en pots ! Prudence ne s’arrêtait plus et prenait des airs d’autocrate. La maisonnée fut privée de sucre… Une petite réserve y passa, et quand Prudence se trouva en face du sucrier vide, elle resta décontenancée :

— Ah ! ben ! ah ! ben ! Madame aurait dû me prévenir… Quand on n’a pas de sucre, on le dit… Est-ce que je pouvais m’en douter ?… Ces bourgeois riches ont toujours des conserves dans leurs armoires, et je croyais qu’on me les cachait… On me laissait travailler ! J’ai au moins 200 pots ; mais les patrons n’auront pas de sucre dans leur café pendant un mois.

Elle demanda à Mme Dilaret :

— C’est vraiment vrai qu’il n’y a plus de sucre dans la maison ?