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prudence rocaleux

pourquoi j’irai habiter chez Julie cet automne. Je contemplerai les arbres sans feuilles et je verrai les nuits longues. Et pis, y a encore une chose : quand j’ suis seule, j’ parle tout haut, dans ma cuisine, comme dans la rue ; personne n’y fait attention, parce que beaucoup sont comme moi. À Paris, c’est incroyable, les gens déchargent leur colère ou leur joie dans la rue sans qu’une âme les écoute. Allez donc crier comme ça à la campagne ! On dirait : « Tiens, v’là la folle qui a sa crise !… »

— Vous êtes impayable ! Il y a du vrai dans ce que vous me dites. Je vous donnerai votre congé.

— Merci, Madame ! Il faut aussi que je dise à Madame que la secrétaire de M. Marcel est sa cousine. Il le dit. Eh ben ! elle ne me plaît pas plus que si elle ne l’était pas. Elle est hardie, avec des yeux qu’elle ferait mieux de cacher… Et ça a du rouge sur les joues et sur les lèvres… et des robes qui vont aux genoux. Non, ce n’est ni fait ni à faire… Et pis, entre nous, c’est la cousine comme moi ! Je ne crois pas du tout à cette fable-là. Cette bonne Julie, elle croit tout ce qu’on lui dit ; c’est de la crème. Non, c’est une petite un peu trop à la nouvelle mode pour être une vraie cousine. Julie connaît sa mère, mais c’est facile de montrer une fausse mère.

— Je vais vous faire enfermer, Prudence !

— Je vois que Madame veut rire ! Je ne me trompe pas souvent et quéque chose me dit que cette péronnelle est une évaporée qui veut se faire épouser. Cette pauvre Julie n’y voit goutte ! Plus bête qu’elle, y en a pas ; mais à part ça, c’est une créature du bon Dieu ! Quand je pense qu’elle n’a pas encore pu dénicher une trace de l’assassin, et moi, la pre-