Page:Fiel - Petite Cousette jolie, 1947.djvu/28

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 26 —

— Je pense que vous avez deviné que je vous aime, Aubrine, et que mon grand souhait est de vous épouser. Le voulez-vous aussi ?

Devant cette demande directe, Aubrine eut un peu de vertige. Toute sa vie passée défila devant ses yeux avec les prétendants qu’elle avait évincés. Allait-elle vivre toute une existence avec un ouvrier à l’avenir médiocre ? De nouveau, elle s’avisa qu’elle n’était plus qu’une ouvrière, que son père avait un petit emploi et que sa mère s’occupait humblement de l’intérieur. Elle n’était pas davantage que ses compagnes d’atelier, qui eussent été bien heureuses d’être aimées par un Roger Ritard.

Puis que valaient toutes les considérations qu’elle soulevait en ce moment devant l’amour profond deviné en Roger ? Qui pourrait jamais l’aimer autant ?

Elle ne réfléchit plus et répondit :

— Je serai votre femme…

Ah ! quel transport saisit le jeune Ritard ! Il se retint pour ne pas serrer Aubrine contre son cœur et ne put que balbutier : merci… merci…

La jeune fille ne regretta pas sa réponse. Elle voyait Roger transfiguré par un tel bonheur qu’elle en était émue. Ils revinrent, légers, touchant à peine le sol.

Ils se séparèrent sur le palier, chacun voulant annoncer, seul, la grande décision.

Aubrine avait un air si radieux que sa mère, tout de suite, lui demanda :

— Qu’est-ce qui t’est arrivé ?

— Je suis fiancée !

— Ah ! mon Dieu !

L’exclamation de Mme Vital sonnait comme un cri de douleur. Elle se repentit d’avoir eu trop de confiance en sa fille. Pouvait-elle soupçonner que cette enfant, qui se montrait si difficile quand il s’agissait de ses pairs, ne résisterait pas aux sollicitations d’un prétendant inférieur ?

— J’aime Roger, il est intelligent, s’exprime bien et quand il se sera frotté aux usages mondains, il sera aussi bien qu’un autre, sinon mieux ! Et puis, maman, il m’aime tellement ! Que suis-je, maintenant ? Une fille sans fortune parmi tant d’autres.

Mme Vital avait les larmes aux yeux et si son mari avait été présent, elle eut peut-être avoué à Aubrine la supercherie dont ils étaient coupables. Mais elle crut bon d’attendre. Une scène analogue se passait chez les Ritard, bien que l’étonnement de cette mère fut plus gai, tempéré cependant par un malaise vague. Elle ne se sentait pas adoptée avec spontanéité. Pour tout dire, Mme Vital lui en imposait et elle