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qu’il te dévore des yeux et cela peut lui enlever quelques moyens.

— Je le trouve si charmant et si simple. Il dit tout ce qui le concerne avec tant d’abandon ! Il paraît si affectueux et si pénétré du désir de bien faire…

Mme Vital murmura :

— Comme tu es exagérée, ma petite fille.

— Mais non, mère, je juge, je compare, j’ai vu bien des jeunes gens et je vous assure que pas un de ceux-là ne valait Roger Ritard… peut-être Marc Olgy.

— Tu es très partiale. Quand je songe que je t’ai laissée aller et venir librement !

— Ne soyez pas inquiète rétrospectivement, ma pauvre maman. Vous voyez bien que votre fille n’est pas si « pervertie » que vous paraissez le croire. Vous oubliez que nous avons baissé de niveau social et que je puis penser aujourd’hui autrement que je pouvais le faire hier. Accusez les événements et non moi qui me montre si sage.

M. Vital restait muet, ne voulant pas donner raison trop haut à sa fille. Si sa défense lui paraissait excellente, il ne voulait pas la suivre dans cette voie.

Il comptait sur un revirement, puis il savait qu’il possédait une arme qui ferait réfléchir Aubrine. Quand elle se saurait riche de nouveau, l’éblouissement de la réalité ferait pâlir cet amour imprévu.

Maintenant, la paix chez les Vital devenait un mythe. Mme Vital ne voulait pas être brutale en dévoilant à sa fille le stratagème employé pour vaincre la nonchalance, le dédain, la manière hautaine dont elle traitait tout ce qui l’entourait. Si le résultat avait développé des qualités insoupçonnées, il accusait aussi une surprise douloureuse, et la pauvre dame ne s’en consolait pas et craignait, tous les jours, d’entendre une nouvelle désagréable.

Ce qui la rassurait quelque peu, c’est qu’Aubrine n’avait que peu d’occasions de voir Roger Ritard. Elle partait de la maison quelques minutes avant son entrée chez Mme Blanche et revenait avec exactitude.

Ce que la bonne mère ignorait, c’est que Roger, dans cette passion qui envahissait son cœur, multipliait les ruses pour apercevoir Aubrine. S’il ne pouvait la guetter le matin, parce qu’il partait trop tôt, il la retrouvait le soir, quand elle sortait de son atelier.

Il ne l’accostait pas tout de suite et se contentait de la contempler. Il admirait son élégance, sa tenue, la réserve qui accompagnait ses gestes. Puis, enfin, il osait la saluer. Tout de suite, elle le mettait à l’aise et, avec un sourire délicieux,