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je n’ai lu un livre aussi beau… Oh ! que je suis heureux ! et les parents sont des gens étonnants. Le père n’a pas l’air d’un ouvrier. Je pense qu’il a dû avoir une place dans un bureau. La mère est une personne un peu froide. Je n’ai pu deviner quel était son métier.

Roger s’arrêta de parler, mais non de tourner dans la pièce exiguë.

Mme Ritard demanda :

— Tu les as donc vus ? Où celà ?

— Chez eux, parbleu, chez eux ! J’ai rencontré la petite en bas et elle m’a invité à entrer.

— Elle n’est pas timide ! inviter un garçon !

— Ses parents étaient là ! Et je t’assure que tout cela était si naturel qu’on ne pouvait y voir de mal. Elle n’est pas effrontée, non… elle est sans arrière-pensée.

— Quand même, c’est drôlement élevé.

— Moi, je crois que Dieu nous mène. Pourquoi ces gens sont-ils venus ici ? Pourquoi sommes-nous là ? Pourquoi me plaît-elle, moi qui n’ai jamais regardé une jeune fille ? Tu trouves tout cela normal, toi ?

Mme Ritard ne disait plus rien. Les paroles de son fils la troublaient. Le destin semblait les prendre par les épaules et les conduire où il voulait.

— Oh ! que je suis heureux ! répétait Roger, fou de joie. Comme la vie me semble changée. Hier encore j’étais en pleine obscurité et, aujourd’hui, un voile s’est levé devant moi et je vois un jour radieux.

La mère était angoissée devant l’exaltation de son enfant et elle envisageait avec terreur le réveil peut-être douloureux d’un tel rêve.

Maintenant, elle aussi eût désiré connaître les parents de cette jeune fille qui venait de bouleverser leur tranquillité. Mais n’est-ce pas la vie ? Ne vient-il pas une heure fatale où le nid familial se voit abandonné ?

— N’aie pas trop d’illusions, mon enfant.

— Non, maman, je laisse la destinée s’accomplir et je ne ferai rien pour la précipiter.


Avec ses père et mère, Aubrine livrait aussi une bataille. Dès que la porte fut refermée sur le jeune voisin, elle s’écria :

— N’est-ce pas qu’il est bien ?

M. Vital, dégagé de préjugés, répliqua :

— Pour un ouvrier, il est certainement très bien et porte l’honnêteté sur son visage. Quant à dire que c’est un homme du monde, ma franchise n’ira pas jusque-là. Il sait à peine s’asseoir, il manque d’aisance et de conversation. Il est certain