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Ainsi, elle était brune, avec de beaux yeux noirs… Il aurait voulu que sa mère recommençât à la dépeindre, mais comment insister, alors qu’il avait si maladroitement insinué, qu’elle pouvait être une voleuse ? Il s’en voulait de ses paroles, mais il ne pouvait les rattraper.

Il fallait attendre le hasard pour que tout s’arrangeât. Entre familles d’ouvriers on ne se rend pas de visites. Les rencontres se font sur les paliers, et si la sympathie naît, on se fréquente. Aubrine, elle, avait agi en femme du monde. Elle était allée tout droit demander le renseignement souhaité, et cela étonnait un peu Roger Ritard, non habitué à ces façons de procéder.

Aubrine, en sortant de chez Mme Blanche, à 18 heures, entra chez sa voisine aux parfums et lui dit :

— Je viens vous remercier de l’adresse que vous m’avez indiquée. Je suis enchantée de ma journée. J’ai un tel désir de réussir que je crois que j’y parviendrai… J’aimerais m’occuper de modèles.

— Vous avez de l’ambition !

— N’est-ce pas le vrai moyen d’arriver ? Oh ! que cela sent bon chez vous ! Ma robe sera parfumée pour quelques heures au moins !

— Tant mieux ! je voudrais pouvoir vous offrir un flacon, mais ce qu’on me donne est strictement mesuré.

— Je m’en doute ! dit Aubrine en riant, mais je vous remercie tout de même. Au revoir, madame.

Aubrine se sauva comme un papillon.

— Quelle aimable jeune fille, pensa Mme Ritard, polie, agréable et paraissant si franche… J’aimerais connaître sa mère.

Naturellement, son fils entendit un nouveau récit concernant Aubrine. Il ne hasarda plus un mot de blâme. Il écouta silencieusement.

Il s’endormit tard. De plus en plus, il voulait entrevoir cette voisine qu’il assimilait à une de ces héroïnes inaccessibles, dont il enviait l’assurance quand elles se mouvaient dans un monde supérieur.

Il fut enfin satisfait. Un dimanche, alors qu’il sortait de chez lui, il se heurta, sur le palier, à une gracieuse jeune fille, toute souriante. Ses boucles étaient brunes et ses yeux magnifiques. Il devina qu’il s’agissait d’Aubrine. Elle le regarda et s’écria :

— Vous êtes M. Ritard… Comme vous ressemblez à votre mère. J’allais chez elle… je puis entrer ?

Roger était bouleversé. Quoi ! c’était cette belle jeune fille qu’il avait comme voisine ! Jamais ses rêves ne lui avaient envoyé un tel idéal… Et elle était ouvrière… gagnant chichement sa vie ? Comment ses parents ne gardaient-ils pas étroitement ce trésor ?