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marane la passionnée

— Aussi bien, commença-t-il, ce que j’ai à vous soumettre peut se dire devant votre famille, qui devra, forcément, être au courant, tôt ou tard, de la situation. Voici ce que j’ai à vous proposer : la vente de votre domaine, afin que vous puissiez sauver quelque chose de votre patrimoine. Les terres n’ont pas grande valeur en ce moment par le manque de main-d’œuvre ; le cheptel a été diminué par les épidémies. Nous avons aussi manqué d’engrais. Il a fallu y remédier. Vous savez ces choses, d’ailleurs, puisque je n’ai jamais conclu une réalisation sans votre assentiment.

Il y eut un silence, durant lequel maman pensa sans doute qu’elle avait eu trop confiance en Chanteux qui la leurrait.

— J’ai un acquéreur sérieux. Vous ne serez peut-être pas surprise en entendant que c’est moi.

Je poussai un cri :

— Jamais !

— Vous n’avez nulle voix au chapitre, Mademoiselle ! Je parle à votre mère, vous n’êtes pas majeure et vous ne comptez pas.

J’ignorais que maman avait la libre possession de notre fortune, à part certains immeubles.

La rage me fit crier :

— Vous verrez si je ne compte pas ! Vous êtes un mauvais serviteur ! Vous nous avez dépouillés pour vous enrichir.

J’éclatai en sanglots bruyants. Ma jeunesse se révoltait. Je sentais toute l’atrocité de quitter cette maison que je ne savais pas aimer autant. Y voir cet homme me causait une épouvante jamais éprouvée, une fureur qui me soulevait tous les nerfs.

Le régisseur riait. Maman s’appuyait, plus pâle qu’une morte, au dossier de son fauteuil.

Elle murmura, d’une voix changée :

— C’est terrible. N’y aurait-il pas un moyen, Monsieur Chanteux, qui nous ferait gagner du temps ? Les plantations sur lesquelles mon mari faisait fond, vont sans doute donner leur plein rendement. En renouvelant petit à petit le cheptel, il se peut que nous ayons de bonnes années.

— Avec cet homme, il n’y aura jamais de bonnes années ! Il faut le mettre à la porte !