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marane la passionnée

Je quittai la table et repris mon béret et mon manteau. Je passai par la cuisine où étaient mes compagnons habituels.

— Rasco ! Sidra !

Les deux molosses bondirent.

La servante Jannit s’écria :

— Où va Mamzelle ?

— Me promener…

— Ma Doué ! ça ne finira pas bientôt ces caprices-là ?

— Les promenades du soir sont les plus belles.

Je sifflai mes chiens et je sortis. Dehors, mes bêtes, bien dressées, saisirent chacune une de mes nattes, et nous nous élançâmes dans le soir d’argent.

La lune était dégagée de ses nuages. La tempête avait fui. L’ombre, la lumière découpaient des figures fantastiques sur le sol. J’allais vers la falaise pour atteindre une plateforme que j’affectionnais.

— Ayaya ! ayara !

C’était mon cri de guerre. Mes chiens eurent un gémissement sans desserrer les dents, de crainte de laisser échapper leur trésor.

Entre eux, je galopais en riant. La mer grondait. On voyait, sous la clarté lunaire, l’écume de ses ondes. Mais je ne m’arrêtais pas. Je voulais d’abord parvenir à mon but. Je grimpai comme un écureuil en ordonnant : « Tenez bon ! »

Le passage que j’avais pris était abrupt, mais mon agilité ne s’effrayait de rien. J’arrivai sur le plateau. Le spectacle était toujours le même, mais splendide et je ne m’en rassasiais pas.

La grandeur s’unissait à la simplicité. Tout était silencieux, mais tout me parlait.

Mes deux chiens, assis sagement, semblaient dire : « Oui, on y est ! » Leur langue sortait de leurs mâchoires effrayantes.

J’étais seule dans la nuit bleue. Les vagues chantaient. Les oiseaux nocturnes rayaient le ciel. Je m’étendis sur la roche, face aux étoiles. Elles surgirent une à une. Je n’avais plus conscience ni du temps, ni du lieu. Fille de la nature, je m’incorporais à elle. Une musique mélodieuse résonnait à mes oreilles, et peut-être, si j’avais eu des compagnons, eussé-je été quand même seule à l’entendre.