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marane la passionnée

J’aurais voulu être comme elle, humble, nonchalante, et j’avais bien du mal, secouée par mes rébellions intérieures.

Puis, j’eus un jour dix-sept ans.

Je n’en fus pas heureuse. Instinctivement, je détestai les nombres impairs, et ce chiffre dix-sept ne me semblait pas du tout enviable.

J’attendais avec impatience le beau matin de mes dix-huit ans. Il m’arriverait en un printemps pareil à celui-ci, mais j’espérais que ce printemps-là serait le plus beau de toute ma vie.

Je pensais souvent à Jeanne de Nadière. Je me demandai ce que devenait ce couple et s’il était heureux. À ce mot, je sentais une brûlure de jalousie, car je trouvais toujours que Jeanne jouissait d’une félicité imméritée.

J’éprouvais maintenant des velléités de travail, mais je remettais toujours mes débuts au lendemain.

Étais-je devenue plus pondérée ? Je l’ignorais. J’avais toujours ma peine intérieure, celle de n’avoir pas un cœur à moi, alors que cette traîtresse de Jeanne en possédait un.

Je supposais que son mari était riche, qu’ils voyageaient, qu’elle était comblée de cadeaux, de gâteries. Je lisais des romans où les amoureux se faisaient des déclarations, où le mari trouvait toujours sa femme belle.

Je pleurais de rage et d’humiliation.

Parfois aussi, je demandais pardon à Dieu de garder cette rancune au fond de moi, et je me disais que cette souffrance était ma punition.

Je ne regardais plus Jean-Marie, qui, devenant plus fort, travaillait davantage à des labeurs plus durs. Je haussais les épaules au rêve enfantin que j’avais formé et je me jugeais supérieure d’avoir rompu aussi nettement cette amitié.

Je fuyais devant Chanteux, que je méprisais de plus en plus. Il me saluait toujours avec son air faux et c’est à peine si je répondais à son salut.

Maman avait beau me prier d’être plus circonspecte, en vue de mon avenir même, je ne pouvais me retenir de le regarder d’une manière détachée et hautaine.

Pourtant, je le surveillais, je le guettais, parce que lui