— C’est impossible que ce mariage ait lieu, déclarai-je à maman, ce serait un crime de laisser ce pauvre monsieur épouser cette Jeanne si fausse, si fourbe…
— Tu es frénétique ! se révolta maman. Cette jeune fille peut devenir une femme parfaite.
— Non… non, il faut que je prévienne ce fiancé trop bon… trop crédule.
— Je te l’interdis absolument ! cria maman, tout à fait affolée. Si tu te livres à une telle monstruosité, je ne te reverrai de ma vie !
Elle retomba à demi-évanouie sur son fauteuil, tellement l’émotion nouvelle que je lui donnais agissait sur son système nerveux.
Mais ma colère était trop tumultueuse pour s’arrêter.
— Une monstruosité ! ripostai-je scandalisée, tu qualifies ainsi une pareille preuve de dévouement ! Ce monsieur n’aura qu’à me remercier pour ma démarche ! Je lui rends un service signalé.
À mesure que je parlais, je me montais davantage :
— Cesse de dire des énormités, murmura maman.
— Démontre-moi en quoi ce sont des énormités, insistai-je, aveuglée, obéissant à mon seul instinct qui me commandait d’éviter un chagrin semblable à celui que j’avais éprouvé au sujet de Jeanne.
— Il ne faut pas se mêler de ce qui ne vous regarde pas ; Jeanne a plu à ce monsieur, et sans doute ne se conduira-t-elle pas avec lui comme avec toi. Tu sauras plus tard qu’il y a une grande différence entre l’amour et l’amitié.
— Je veux le savoir tout de suite ! interrompis-je avec impétuosité.
— Que tu es peu calme, ma petite fille. Je ne puis rien t’expliquer, parce que ce sont des choses qu’il faut vivre soi-même. L’amour ne se décrit pas, on le subit. Tu as eu de l’affection pour Jeanne, mais elle ne t’aimait pas. À son tour, elle peut aimer son fiancé, et son caractère se transformera pour plaire à celui qu’elle aime.
— Oh ! de fourbe, elle deviendra franche ?
— Cela se peut.
— Jamais ! Ce pauvre malheureux sera condamné à une