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marane la passionnée

tentés pour empêcher M. le comte de se livrer à son penchant.

Son ton était persuasif, et ses yeux soutenaient mon regard courroucé. Il paraissait plein de bonne foi et maman fut encore une fois persuadée.

Elle murmura :

— Tu n’avais pas besoin d’intervenir, Marane.

Chanteux reprit, en s’adressant à ma mère :

— Excusez-la, Madame, les enfants d’aujourd’hui se croient supérieurs aux personnes d’expérience.

J’hésitais. Je ne savais plus si je devais poursuivre mon accusation. Peut-être Chanteux disait-il vrai ? Évariste pouvait avoir ce vice insoupçonné. Il y avait deux ans qu’il vivait hors de la maison et sa nature était influençable.

Le régisseur continuait :

— Je suis bien content que M. le comte retourne un peu en ville. Il était d’un très mauvais exemple pour les fermiers. Quand on voit le maître se griser, les valets en font autant. J’ai eu beaucoup de mal, ces temps derniers.

L’accent de notre régisseur était tour à tour sévère et désolé. Maman n’en pouvait plus de honte. Quant à moi, je me retenais pour ne pas sauter, comme un chat sauvage, à la figure de Chanteux.

Il remarqua que ses paroles avaient porté, mais il n’abusa pas de son avantage et il dit :

— Mademoiselle a fini son séjour en ville ? Mademoiselle n’est pas souffrante ?

— Nullement, répondis-je ; mais je ne me plaisais plus chez ma cousine.

— Ah ! répondit le régisseur.

Avait-il noté le désarroi trop visible de maman, et comprit-il qu’un incident insolite était survenu ? Ses yeux s’illuminèrent à la pensée d’enquêter sur cette affaire.

Il nous laissa, et maman et moi nous restâmes dans un petit salon à parler d’Évariste.

Puis, Jeannic vint nous annoncer qu’une dame nous attendait au salon.

— Une dame ! répéta ma mère.

Soudain, elle me dit très vite :