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marane la passionnée

— Tu vas tout savoir.

Maman retomba presque évanouie sur son siège en soupirant.

Comme l’avait fait M. de Nadière, je débutai par :

— Voici : Un jour, je me promenais dans le parc avec mes chiens, cherchant des prises de vues pour notre petit cinéma, quand j’aperçus deux hommes qui se battaient : c’étaient Chanteux et… l’autre. Ce dernier, père de sept enfants, avait été menacé de renvoi parce qu’il était trop honnête et qu’il ne voulait pas souscrire à certains pots-de-vin, qui constituaient le bénéfice de notre estimable régisseur. La bataille se passait au bord de la pièce d’eau. Au lieu d’appeler quelqu’un, je les filmai.

— Oh ! Marane.

— Et j’ai eu raison, maman. Chanteux glissa et tomba. J’avais lutté avec ma conscience pour ne pas le souhaiter.

— Malheureuse ! cria maman, et tu n’as pas essayé de le repêcher, toi qui nages si bien ?

Maman tournait dans le salon comme une démente.

— Sois calme, ma petite maman ! En même temps que lui, l’autre disparut dans l’eau. Ils faisaient corps. Je courus et mes chiens accomplirent leur office en ramenant les deux hommes sur la berge. Chanteux, frappé de congestion, était mort. Nous avons tout fait, Lucas et moi, pour…

— C’était Lucas ?

— Oui, maman. Pour le ramener à la vie, nous avons tout employé. Lucas était si désespéré par cet accident qu’il m’a demandé le secret. Il craignait d’être accusé parce qu’on le savait menacé par Chanteux. On aurait insinué qu’il s’était vengé. Les paysans ont peur de la police. Je n’ai donc rien dit, pas même à toi, maman, parce que ce secret n’était pas le mien. C’était celui d’un père de famille, insulté dans son honnêteté et qui avait besoin de ses bras pour assurer le pain de ses enfants.

Maman pleurait et elle s’écria :

— Ma fille ! Ma fille ! J’ai douté de toi !

— Je le sais, ripostai-je dignement, mais j’ai fait tout mon devoir, jusqu’à tirer sur la langue de ce misérable Chanteux, afin de le sauver de l’asphyxie. Cette langue méprisable qui nous calomniait ! Et tu m’as dit que je ne pardonnais pas à mes ennemis ! Juste ciel ! J’ai cherché, de toute mon humaine fraternité, à arracher de la mort cet homme qui voulait t’épouser !

Ma mère cachait son visage.

Renaud de Nadière nous contemplait et devinait le drame